Chloé Romengas est l’auteure de « Rayures et Ratures », un bel ouvrage illustré pour mieux comprendre les adultes et enfants « zèbre ».
J’ai eu l’occasion d’échanger avec cette jeune femme aussi généreuse que charmante sur une thématique qui me tient à cœur pour des raisons personnelles.
Bonjour Chloé, comment en es-tu venue à écrire ce livre ?
J’ai découvert ma précocité à 25 ans, après avoir passé des tests. Cela m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses et j’ai eu envie de créer le blog Rayures et Ratures.
Au départ, mon objectif était de vulgariser ce que j’avais pu comprendre sur mon propre fonctionnement, avec humour et légèreté, notamment grâce aux illustrations. Puis, je me suis documentée, j’ai fait de nombreuses recherches pour proposer des articles plus longs et plus précis. Rapidement, un lien très fort s’est créé avec mes lecteurs, j’ai commencé à récolter des témoignages et à faire des portraits de zèbres de tout âge.
Puis mes lecteurs m’ont poussé à écrire un ouvrage qui synthétiserait mes articles de blogs et mes recherches. En bon zèbre, j’ai souhaité conserver mon autonomie et ma liberté ;-). Le principe de l’auto-édition s’est alors imposé à moi. Une campagne de financement participatif plus tard, largement soutenue par ma communauté, je sortais mon livre !
Comment vivais-tu ta précocité petite ? Et comment la-vis-tu au quotidien aujourd’hui ?
Petite, j’ai souffert du manque d’explication. On m’a fait sauter une classe, on m’accolait régulièrement le terme « précoce ». Mais aucun psychologue n’est venu m’expliquer quoi que ce soit sur mon fonctionnement. Or c’est précisément ce dont j’avais besoin ! Je me suis mis beaucoup de pression au cours de ma scolarité pour essayer de coller à ce fameux mot, qui semblait décrire une intelligence supérieure.
J’ai fait une prépa et une école de commerce et j’ai occupé des postes en analyse stratégique. Mais je m’ennuyais vite, j’étais souvent déçue par l’ambiance de travail et j’avais du mal avec l’autorité.
Passer les tests a été une grande révélation pour moi. J’ai enfin compris. Je me suis dit « Ce n’est pas grave », « Tu n’es pas la seule ». Et puis, ce sont finalement des problèmes de santé, qui m’ont obligée à quitter mon emploi et j’en ai profité pour me lancer dans l’écriture d’un blog pour m’occuper. Ou de plusieurs blogs, devrais-je dire… Car j’en ai mis un certain nombre à la poubelle, avant de sortir Rayures et Ratures :-).
On parle de zèbres, de personnes précoces, de surdoués, d’HPI… Ces mots sont-ils tous des synonymes ? Y-a-t-il des différences subtiles ? Existe-t-il un mot correct pour décrire ce « phénomène » ?
Non, il n’y a pas vraiment de « bon » mot, chacun choisit celui qui lui parle le plus. En ce moment, j’aime bien le terme « doué », qui est une traduction littérale du mot anglais Gifted. On parle aussi de philo-cognitifs actuellement, un nouveau terme.
Il y a 30 ans ou même 10 ans, on parlait beaucoup moins d’enfants précoces. On a l’impression qu’il y en a beaucoup plus aujourd’hui. Est-ce juste parce qu’on les détecte mieux ?
Oui, on parle beaucoup plus de la douance/précocité aujourd’hui, mais on a vraiment besoin de communiquer plus sur cette thématique, pour comprendre le fonctionnement de ces personnes pas tout à fait comme les autres ! Selon moi, il faudrait réussir à sensibiliser en outrepassant les clichés. Comment expliquer les choses sans coller une étiquette ? C’est tout un art ! Et c’est surtout de la pédagogie…
Je ne pense pas qu’il y ait plus d’enfant précoces qu’avant. Mais les personnalités atypiques se développent plus facilement dans notre société actuelle, elles sont plus visibles.
Y-a-t-il des diagnostics abusifs ? Et comment être sûr de ne pas tomber sur un charlatan quand on fait tester son enfant ?
Il y a comme partout des diagnostics abusifs, qui ne servent pas la cause de la précocité, parfois taxée de phénomène de mode. Et le problème c’est qu’en mettant tout sur le dos d’une soi-disant précocité, on passe à côté d’autres particularités, qui mériteraient un accompagnement spécifique (autisme, TDAH…). C’est un sujet qui m’interpelle beaucoup !
Aujourd’hui, le seul test officiel pour identifier la douance est le test WISC/WAIS. Mais les psychologues qui le font passer n’ont pas forcément tous été formés. Un psychologue qui n’a pas été formé saura-t-il expliquer les choses à l’adulte et à l’enfant doué pour lui apporter du confort et faire en sorte qu’il se sente tout simplement bien ? Annoncer un simple chiffre de QI ou un « vous êtes haut potentiel » ne suffit pas. Je pense que dans le passage de ce test, ce qui aide le plus est la qualité de la restitution faite par le professionnel, pas le résultat.
Le bouche à oreilles ou les associations peuvent recommander de bons professionnels.
Dans ton livre, tu parles du fonctionnement de l’enfant « précoce » dans le détail. Il est question d’hypersensibilité, de mémoire impressionnante, de pensée qui fuse dans tous les sens, mais aussi du « déficit d’inhibition latente » et de « personnalité camouflage »… Peux-tu nous détailler ces deux points ?
Le déficit d’inhibition latente, c’est le fait de recevoir toutes les infos en même temps et de ne pas réussir à les trier. La conséquence, c’est cette sensation d’en avoir plein la tête ! Ce phénomène est à mettre en relation avec l’hypersensibilité des 5 sens, fréquente chez les zèbres, qui augmente les stimulations sensorielles et rend le tri d’information encore plus complexe. D’où la confusion, l’angoisse ou le fait de paraître distrait ou rêveur et de ne pas pouvoir se concentrer sur quelque chose de particulier et oublier le reste.
Ce que j’appelle personnalité de camouflage, c’est le « faux-self », une personnalité contrôlée, qui permet de s’adapter à l’environnement. On en est tous doté. Chez certains zèbres, le « faux-self » peut avoir tendance à trop prendre le pas sur le « vrai self » (la part d’authenticité chez chaque individu), car ils se sentent souvent en décalage et pas à leur place. Ils pensent que leur vraie personnalité ne correspond pas aux attentes des autres, donc ils abusent un peu de leur personnalité de camouflage.
Les personnes douées ou précoces ont souvent des rapports aux autres compliqués. Quelle en est la cause et que faire quand un enfant tape ses copains ou se rebelle contre la maîtresse ? Comment expliquer les choses aux adultes qui l’entourent sans passer pour un fou ou un prétentieux ?
Les zèbres n’ont pas tous des relations compliquées avec les autres. Ils ne sont pas forcément inadaptés socialement. Cela fait partie des clichés qui ont la vie dure ! Mais leur rapport aux autres est très intense, notamment en raison de leur grande empathie et leur engagement à 100% dans toute chose. Donc c’est parfois difficile à vivre ou déstabilisant pour les autres.
Faut-il en parler ou pas ? Personnellement, je ne parle jamais de ma précocité sauf sur mon blog… En ce qui concerne la scolarité, c’est dur de se prononcer. Peut-être serait-il bon de prévenir la maîtresse si l’enfant a des besoins spécifiques. Ou est-il préférable de ne rien dire jusqu’à ce qu’un problème survienne ? C’est vraiment du cas par cas et cela dépend de l’enseignant qu’on a en face de soi, de sa sensibilisation à ce phénomène…
Le test de QI est souvent vu comme la preuve ultime de la précocité d’un enfant. Faut-il le faire systématiquement quand on des doutes ? Quelles sont les conséquences sur l’enfant ? Se savoir différent est parfois mal vécu…
Il y a toute une génération d’enfants doués qui a justement mal vécu le fait de ne PAS savoir… Personnellement, j’aurais aimé être testée plus jeune et avoir ces précieuses clefs… Donc, j’aurais tendance à encourager à passer le test quand on a des doutes, mais encore une fois, auprès de quelqu’un qui fait preuve de pédagogie et qui est capable d’expliquer à l’enfant son fonctionnement, quel qu’il soit, haut potentiel ou non.
Aussi, le test ne doit pas être vécu comme un examen à réussir à tout prix par l’enfant. Il doit être présenté de façon ludique.
Après ce premier livre, as-tu d’autres projets pour l’avenir ?
Oui ! je prépare un 2ème ouvrage autour de la thématique de la précocité, mais centré sur l’humain et sur les différentes périodes de la vie.
Et je ne souhaite pas m’enfermer dans la thématique de la douance, mais continuer à sensibiliser sur d’autres sujet. Je m’intéresse beaucoup aux maladies invisibles, par exemple.
Chercher, sensibiliser, informer, vulgariser… Tout cela répond à mon besoin de comprendre les choses. A ma modeste mesure, j’essaie d’améliorer un petit peu le monde ;-).
L’avis de la rédaction
Rayures et Ratures est un ouvrage riche et bienveillant, qui fait aussi la peau à quelques clichés sur les zèbres de tout âge, avec une bonne dose d’humour et un joli coup de crayon… Tout en divulguant des informations précises, fruit de recherches que l’on devine acharnées et sans concession.
L’auteure se livre à peine mais parvient à créer une certaine proximité avec le lecteur, ce qui rend la lecture du livre particulièrement agréable et réconfortante. Personnellement, je l’ai dévoré en quelques jours.
Sans avoir été testé, mon fils de 5 ans s’est régulièrement vu accolé les mots « précoce », « hypersensible », « HPI » depuis la crèche. Plutôt méfiante vis-à-vis des diagnostics hâtifs, j’ai lu plusieurs livres sur le sujet pour essayer de me faire ma propre idée. Et celui de Chloé m’a particulièrement intéressé et conforté dans l’idée que la douance/précocité, quand elle est mal diagnostiquée, peut faire écran et passer sous silence d’autres particularités. Prudence, donc… Et clairvoyance !
Pour vous procurer ce petit bijou, c’est par ici !
Livre offert par l’auteure