Il fut un temps, pas si lointain, où l’on se gardait bien de parler vraiment au tout-petit.
Au contraire, on estimait qu’il ne comprenait rien, et on se contentait de lui adresser les signaux ou mimiques de circonstance, analogues aux siens, sans se préoccuper de ce qu’il pouvait ressentir.
Aujourd’hui, la tendance est inverse, on affirme à juste raison qu’il faut parler au bébé dès avant sa naissance et tout au long de sa croissance, car on a découvert qu’il y est extrêmement sensible et que c’est aussi important pour son avenir que les soins du jour le jour.
Le problème, c’est que l’on passe facilement d’un excès à l’autre. Or, en l’occurrence, TROP DE PAROLE TUE LA PAROLE , et surtout, trop de paroles excessives font plus de mal de que de bien.
=> Un exemple :
Alain, trois mois, régurgite un jour de façon tellement abondante que cela déborde sur ses vêtements. Sa maman aussitôt réagit par un flot de paroles plus envahissant encore que ce petit vomissement, en lui disant qu’elle va encore devoir le changer, qu’il exagère, que c’est usant à la longue, etc.
- Bien sûr, on la comprend, cette réaction la soulage, et d’une certaine façon, elle communique en accord avec ce qu’elle ressent.
- Mais pour le bébé, c’est l’inverse : la gène qu’il a éprouvée en vomissant et qui l’a déjà mis mal à l’aise ne fait qu’amplifier. D’ailleurs il finit par éclater en sanglots pour exprimer sa détresse.
- Heureusement, face à ce nouveau débordement, la maman rectifie aussitôt la situation : elle le prend dans ses bras, le câline, le rassure, et lui répète qu’elle l’aime envers et contre tout.
- Certes, mais n’aurait-il pas été plus sage de calmer le jeu d’emblée, en commentant bien sûr le renvoi de nourriture, mais par des mots du genre: « tu vois, le lait revient de ton ventre comme il y était parti ! Et il nous salit ton joli vêtement ! Mais on ne va pas se laisser faire, on va nettoyer tout ça et tu seras encore et toujours mon beau bébé »
=> Un autre exemple, plus problématique encore :
Alice commence à marcher et à attraper tout ce qui passe à la portée de ses petites mains, elle ne peut s’empêcher de toucher à tout. Et voilà qu’un matin, elle tire le napperon qui couvre une commode et en fait tomber un vase unique, ramené d’un voyage en Chine, et auquel sa maman est d’autant plus attachée qu’il lui a été offert à l’occasion de son anniversaire. « Ce que tu peux être idiote et maladroite ! » lance spontanément la maman sans se rendre compte des effets de ces invectives sur l’enfant.
- D’ailleurs, Alice ne souffle mot pendant qu’on ramasse les débris du fameux vase, elle se réfugie dans un coin de la pièce, s’immobilise, et aussitôt après, se déplace à nouveau à quatre pattes comme elle le faisait au cours de la période précédente.
- Invitée à se relever, elle refuse, et c’est alors que sa maman prend conscience de la violence de ses propos. « Idiote, maladroite », une enfant qui reçoit des invectives de ce genre sans commentaires les reçoit de plein fouet et les prend à la lettre.
- Pour qu’elle se remette à nouveau sur ses jambes, il a fallu la rassurer, lui dire que c’était des mots de colère et que sa maman savait fort bien qu’elle ne l’avait absolument pas fait exprès.
- Certes, ce n’est ici qu’un incident passager, facile à corriger, mais on imagine les dégâts qui se produisent dans l’esprit d’un enfant quand de tels propos dévalorisants se répètent et que rien n’est fait pour les corriger.
=> Un dernier exemple :
Il faut signaler aussi une autre situation plus insidieuse encore et dont les effets sont nocifs à long terme si l’on n’y prend pas garde : lorsque l’adulte prend l’enfant comme confident et se plaint à lui de ses difficultés quotidiennes, sans ménagement. Ainsi Pascal, un jeune papa de 25 ans est amené à s’occuper régulièrement le soir de sa petite fille Anna, âgée de 18 mois. Son épouse est infirmière, et elle est régulièrement d’astreinte dans l’hôpital où elle travaille. Pascal aime beaucoup sa petite fille, mais il rentre parfois épuisé et il ne peut s’empêcher de se lamenter en détails auprès d’Anna des difficultés qu’il a rencontrées.
Quand son épouse s’en aperçoit et le lui reproche, il se justifie : « il faut bien que j’explique à ma fille pourquoi je ne suis pas en forme, lui donner les raisons de ma fatigue, ne serait-ce que pour qu’elle comprenne et ne se sente pas responsable. N’est-ce pas un langage de vérité ? ».
Sans doute, mais toute vérité n’est pas bonne à dire, surtout à une enfant de 18 mois qui est tout à fait capable d’entendre que son papa est fatigué, mais qui n’entend rien à la situation dans laquelle il se trouve. Sous prétexte de la rassurer, il lui fait porter une souffrance qui la dépasse et qui risque surtout d’assombrir inutilement les rares moments qu’ils peuvent passer ensemble
Il est indispensable de parler à l’enfant dès son plus jeune âge, et de parler en vérité, sans faux fuyant, à chaque fois que possible.
Mais en tenant compte de la personne à qui on s’adresse, du poids des paroles qu’on utilise, et surtout en les reprenant quand on s’aperçoit qu’elles se sont avérées pour lui excessives. Et cela vaut aussi pour tout ce qui se dit autour de lui, qu’il entend à notre insu, et qui le marque d’autant plus qu’on le laisse sans commentaires et sans explications.
« Méfiez vous des oreilles qui traînent », dit un vieil adage. C’est vrai, mais que ce soit avant tout par respect pour les oreilles en question.
Monique Bonnet, puéricultrice diplômée d’État et Gérard Bonnet, docteur en psychologie et psychanalyste ont publié : Comment parler au tout-petit aux Editions In Press
Prix public : 15 euros TTC