Votre bébé pleure, vous le prenez dans vos bras et vous le bercez, vous êtes dans une situation qui évoque la manipulation.
Depuis sa chaise haute, il jette sa cuillère au sol et vous observe du coin de l’œil. Vous ramassez l’ustensile et il le jette à nouveau jusqu’à obtenir une réaction de votre part, c’est encore de la manipulation. Vous semblez préoccupé(e), votre bébé vous sourit, grimace et parvient à vous faire sourire vous aussi, c’est toujours de manipulation.
Les bébés manipulent les parents et les parents manipulent leurs bébés. C’est ainsi et cela n’a vraiment rien de dramatique !
La manipulation est indissociable de la communication et ces phénomènes d’influence sont nécessaires à l’entretien du lien et à l’expression des ressentis et des besoins de l’enfant. La manipulation permet à ce dernier d’obtenir quelque chose de ses parents sans qu’il lui soit nécessaire de passer par le langage qu’il ne maîtrise pas encore. Elle lui apporte la sécurité, quand le parent entre dans le jeu et réagit dans le bon sens ; elle lui permet de prendre conscience, petit à petit, qu’il dispose d’un pouvoir sur son environnement. Cette forme de manipulation est naturelle et utile.
Gare aux étiquettes !
Peut-on pour autant ranger les bébés dans la catégorie des manipulateurs ?
Je pense que cette classification nécessite de la vigilance, car le problème, avec ce genre d’étiquettes, c’est qu’elles orientent nos perceptions et nos jugements, qu’elles réduisent l’enfant à une caractéristique. Elles sont, de surcroit, très difficile à décoller.
« Mon bébé est un manipulateur », reconnaissez que c’est une expression assez brutale ! De nos jours, quand on parle de manipulation ou des manipulateurs, on aborde un sujet sensible qui exhale une vilaine odeur de soufre.
La manipulation existe pourtant depuis la nuit des temps et elle n’a pas toujours eu cette mauvaise réputation qui jette aujourd’hui la terreur dans les relations sociales et familiales. Le problème vient probablement du fait que beaucoup de gens associent systématiquement la manipulation à une forme de perversion. Or toutes les manipulations ne sont pas intentionnelles, conscientes, malveillantes et à proscrire.
La manipulation est utile à la construction de l’enfant. Elle fait partie de son développement : il expérimente son pouvoir sur l’adulte et, comme tous les êtres vivants, il cherche à maintenir son équilibre personnel et à économiser son énergie. C’est un signe d’intelligence qui illustre également le besoin de connexion du bébé. En grandissant, l’enfant raconte de petits mensonges, il transforme la réalité, prend des rôles, s’invente des histoires, tous ces comportements l’aident aussi à grandir et à découvrir le monde, notamment celui des relations avec ses proches.
Un sens et une fonction
Nos états émotionnels et nos réactions sont scrutés à la loupe par nos tout jeunes enfants.
Ils nous observent et multiplient les expériences sociales et relationnelles pour comprendre comment nous fonctionnons, pour exprimer leurs émotions, leur bien-être ou leur souffrance et pour nous indiquer si leurs besoins sont, ou non, satisfaits. Les petites manipulations sont l’occasion pour le parent d’observer le bébé et de découvrir ce langage particulier. Manipuler et se laisser manipuler permet d’entretenir la relation et de garder une certaine souplesse. Du reste, toutes les manipulations ont un sens et une fonction. Elles ne sont jamais gratuites. Elles démontrent que le bébé cherche à obtenir quelque chose et elles appellent une réponse de la part du parent. Par conséquent, il serait dommage de passer à côté car elles sont doublement intéressantes : à la fois informatives et éducatives.
Quand bébé grandit…
Lorsque l’enfant grandit et qu’il accède au langage articulé, c’est la réponse du parent, son attitude et ses comportements qui vont réduire les échanges manipulatoires ou les généraliser. Les enfants apprennent beaucoup par imitation. Si les parents font eux-mêmes un usage immodéré de la manipulation avec leurs enfants, ces derniers vont leur emboiter le pas et intégrer un certain nombre de stratégies pour obtenir ce qu’ils souhaitent. Manipuler c’est souvent plus facile, plus rapide, et c’est aussi le plus court chemin pour arriver à ses fins. Et plus ça marche, plus le parent se laisse rouler dans la farine, plus l’enfant a tendance à y avoir recours ! Quand quelque chose fonctionne bien, pourquoi voudriez-vous qu’il procède d’une autre manière ?
C’est pourquoi il appartient au parent de montrer l’exemple et d’enseigner les bonnes façons de faire. Mais encore une fois, on ne peut pas attendre de nos enfants qu’ils cessent d’avoir des comportements problématiques quand nous ne sommes pas nous-mêmes au clair sur cette question. Le problème, c’est que beaucoup de parents usent souvent eux-mêmes de la manipulation : en marchandant avec l’enfant : « si tu es sage chez mémé Lulu, je t’achèterai une glace » ; en l’évaluant, en le culpabilisant : « qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour mériter un enfant aussi méchant ? » ; en jouant sur les sentiments : « si tu n’es pas plus gentil, maman ne va plus t’aimer… »
Ne vous affolez pas !
Les petites manipulations du bébé sont souvent anodines et sans conséquences. Elles vous apportent des informations sur son état émotionnel et son bien-être. Plus tard, lorsqu’il grandira, vous devrez être un peu plus vigilant. Souvent, parce qu’ils sont fatigués, pour avoir la paix, par culpabilité ou par peur de ne plus être aimé, les parents se laissent un peu trop facilement avoir, ils cèdent ou pratiquent eux-mêmes la manipulation de façon systématique. Dans un cas comme dans l’autre, il sera utile d’éviter la dramatisation du phénomène tout en agissant pour en limiter les pratiques.
Il est toujours préférable d’entretenir avec les enfants des relations authentiques fondées sur la confiance et le respect. Plus vous exercerez une autorité bienveillante, plus vous apporterez de l’attention aux besoins des uns et des autres et moins la manipulation sera présente.
Christophe carré est auteur de :
La manipulation au quotidien : La repérer, la déjouer et en faire bon usage, Paris, Eyrolles, 2017.
Caprice, chantage, mensonge… Que faire avec un enfant qui vous manipule ?, Paris, Eyrolles, 2017.