Que l’adolescent soit un idéaliste, tout le monde en convient.
Il s’engage parfois avec passion pour la justice, la vérité, qu’il fait passer au dessus de tout. Cela, tout le monde en convient .
MAIS LE BÉBÉ ? Eh bien, quoiqu’il puisse en paraître, c’est la même chose, même s’il n’a pas les mots pour le dire : il est tout aussi attaché aux idéaux les plus fondamentaux, au point qu’il peut aller jusqu’à mettre sa santé et sa vie en danger quand ils viennent à lui faire défaut.
Quels idéaux ?
Ceux qui nous tiennent le plus à cœur, en particulier la BEAUTÉ, la VÉRITÉ ou la JUSTICE, l’AMOUR ou la TENDRESSE. Le bébé ne trouve pas seulement son plaisir en buvant le lait ou en respirant l’air qui l’entoure, il cherche en même temps à tirer plaisir de ces valeurs fondamentales qu’il a découvertes au contact des siens, même s’il n’en a pas encore la notion exacte.
L’idéal de beauté et de justice
Le plus évident et le plus facile à repérer, c’est l’idéal de vérité ou de justice.
Dès qu’il sait s’exprimer, l’enfant réagit à la moindre injustice, et présente des symptômes inattendus quand on ment ou demeure silencieux sur des questions qui le concernent personnellement.
Dans Le petit Hans, son premier écrit sur l’enfant, Freud raconte que le papa est venu le consulter un jour très ému du fait qu’Hans lui mentait effrontément. Interrogé sur les évènements du moment, il lui raconte que son épouse est à nouveau enceinte et qu’il l’a expliqué à l’enfant comme on le faisait à l’époque, en lui racontant l’histoire de la cigogne. Freud lui a répondu simplement : « vous lui avez menti, et il ne fait que se venger en mentant à son tour ! » Façon de vous dire : « Tu m’as donné de fausses explications : eh bien je t’en raconte de semblables pour que tu te rendes compte de ce que cela me fait ! ».
Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer aux histoires, aux légendes, aux récits romanesques, à condition de les introduire par une formule du genre : « autrefois on disait … », ou bien : « c’est comme les cigognes qui viennent faire leur nid sur nos cheminées », etc.
Dire la vérité ne signifie pas renoncer à la poésie ou au langage du rêve, mais sous forme d’accompagnement.
La beauté
Dès son plus jeune âge, l’enfant manifeste aussi un intérêt étonnant pour La beauté. On croit spontanément que notre tendance à le vêtir de beaux atours est destinée à nous faire plaisir, mais elle est aussi nécessaire à ses yeux. Les spécialistes de l’enfance l’ont noté, il a une préférence marquée pour les beaux visages, s’attarde plus volontiers sur une image aux couleurs harmonieuses, valorise progressivement les éclats, les garnitures disposées autour de son berceau, les musiques qu’on lui propose, etc.
Pierre et Adeline l’ont appris à leurs dépens. Alors qu’Arthur, venait d’atteindre ses 8 mois, ils ont enfin obtenu un logement un peu plus spacieux. Mais en attendant qu’il soit aménagé, ils ont du habiter dans un lieu exigu, ne disposant que d’un petit réduit sombre pour y mettre le berceau d’Arthur, et ils n’ont pas pris la peine d’y installer les garnitures et décorations d’usage. Ils lui ont bien expliqué la situation, et malgré tout, au bout de quelques jours seulement, Arthur a refusé systématiquement son biberon, et il leur a fallu se rendre à l’évidence : leur bébé jouait à se priver de nourriture pour leur signifier qu’il était privé de la sensation de beauté à laquelle il s’était attaché plus que tout. Dès qu’ils ont pu lui aménager à nouveau un environnement agréable, tout est rentré dans l’ordre.
Certes, il n’est pas donné à tout le monde de créer un environnement merveilleux pour l’enfant, mais il y faut parfois peu de choses. Même dans les pays les plus pauvres, les mamans n’hésitent pas à utiliser des tissus chatoyants, des objets scintillants, des linges colorés qui suffisent à créer un univers merveilleux aux yeux du tout-petit.
L’amour et la tendresse
Il faut rappeler enfin l’attachement sans pareil des tout petits pour l’idéal d’amour ou plus précisément de tendresse. Car on ne le dit pas assez, chez l’être humain, c’est une question de vie ou de mort. Un bébé privé brutalement de celle qui incarne l’amour à ses yeux va se laisser dépérir si l’on n’y prend pas garde, et il faut énormément de patience à ceux qui vont prendre le relais pour qu’il puisse retrouver auprès d’eux cette valeur vitale et l’investir à corps perdu.
C’est ce qui s’est produit pour Carine, 3 mois, lorsque sa maman a du être hospitalisée d’urgence en isolement dans un service hospitalier suite à une grave hémorragie. Du jour au lendemain, Carine s’est fermée sur elle-même, comme si elle participait intimement à la situation de sa mère. Elle a refusé tout aliment, demeurant prostrée dans son lit, au point que le papa et les grands-parents se sont affolés. On a proposé à l’enfant des objets ayant appartenu à sa maman, on lui a montré des photos, on lui a même fait entendre sa voix au téléphone, rien n’y a fait. Jusqu’au jour où, heureusement, il a enfin été possible de l’emmener jusqu’à l’hôpital où elle a pu voir et entendre sa maman, à travers une vitre d’abord, puis de façon de plus en plus proche.
C’est seulement plus tard, à partir de 6 mois environ et si on l’y a préparé, que le bébé parvient à détacher l’idéal de tendresse de celle avec qui il l’a découvert, et il peut alors le retrouver chez d’autres proches. Cela ne se fait pas en un jour et il faut tout mettre en œuvre pour qu’il y parvienne assez rapidement.
Gérard Bonnet a publié :
L’idéal, la force qui nous gouverne chez In Press, Sept 2017